État de la question
Au Québec, le débat sur le suicide assisté, ou euthanasie, suit son cours depuis maintenant plusieurs années. Bien qu’il ne soit pas encore légalisé, l’histoire a connu son lot d’événements controversés dont le plus connu, est le cas de Robert Latimer, qui en 1993, tua sa fille âgée de 12 ans. Cet homme affirma aux autorités avoir posé ce geste dans le but de soulager sa fille qui souffrait gravement d’une paralysie cérébrale. Il fut reconnu coupable de meurtre au second degré et condamné à 10 ans de prison, mais sa peine fut finalement écourtée à 2 ans moins un jour, car le jury finit par reconnaitre qu’elle était disproportionnée par rapport à l’acte commis[1]. Ce cas, ainsi que plusieurs autres ont soulevé beaucoup de points de vue différents de la part de plusieurs acteurs sociaux et d'organisations importantes, telles que la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, le groupe pro-vie LifeCanada, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), ou encore la population en générale.
Selon l’article 214 du Code criminel du Canada, une personne s’avère coupable du crime de suicide assisté si elle « aide, conseille ou encourage quelqu’un à se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non[2]. » Une personne déclarée coupable risque alors l’emprisonnement maximal de quatorze années. Cet article a été contesté à plusieurs reprises par des gens atteints de graves maladies physiques ainsi que par leurs aidants, mais il n’a jamais été aboli par la Cour suprême qui, elle, prétend que « la loi n’établit pas de discrimination contre les personnes au motif de l’incapacité physique[3]. » Ceci fait donc en sorte que la loi est toujours présente et appliquée à tous les citoyens du Canada. Ce fait a d’ailleurs pu être observé dans le cas de Robert Latimer qui avait initialement été condamné selon les mêmes lois que le reste de la population.
Toutefois, on ne peut nier que le suicide assisté ou l’euthanasie sont pratiqués sur les patients dans nos hôpitaux à l’insu de la loi. Selon une consultation menée par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec auprès de 1086 médecins, « Plus d'un répondant sur deux (52,7 %) est d'accord pour affirmer que l'euthanasie, sous diverses formes et de manière indirecte, est actuellement pratiquée au Québec. »[4]. Il peut s’agir par exemple d’un arrêt de traitement ou d’un refus de s’alimenter de la part du patient. Par contre, il est pertinent de se demander avant tout ce que les médecins du Québec pensent d’une telle pratique. Selon cette même consultation, « Les répondants affirment dans une proportion de 71,3 % qu'ils seraient prêts à avoir recours à l'euthanasie dans leur pratique médicale si de nouvelles balises réglementaires et législatives le permettaient. »[5].
On peut maintenant se demander ce que pense la population de la légalisation d’une telle pratique. La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité a tenu une consultation publique auprès de 6558 répondants sur cette question et il en est ressorti qu’« En tout, 71 % des répondants se sont dit en accord avec la légalisation du suicide assisté sous certaines conditions et 27 % se sont dit en désaccord.»[6]. Cependant, il faut noter que les répondants âgés de plus de 60 ans ont été les moins enclins à accepter la légalisation de cette pratique, soit avec 12% d’approbation de moins que pour l’ensemble des gens questionné[7]s. Puis, bien que les gens puissent avoir une opinion sur le sujet, celle-ci peut changer dépendamment des situations auxquelles pourrait s’appliquer la pratique de l’euthanasie. En effet, le scénario d’une personne atteinte d’une maladie ne pouvant pas être traité et souffrant de douleurs physiques et psychologiques intolérables est celui pour lequel les gens sont le plus enclins à accepter l'option du suicide assisté (77%)[8]. À l’opposé, celui pour lequel les gens sont le moins susceptibles de trouver la justification valable est le cas d’une personne très lourdement handicapée à la suite d’un accident (65 %)[9].
Les lois sur le suicide assisté ainsi que sur l’euthanasie ne sont pas les mêmes partout dans le monde, de même sorte que les conséquences qui s'en suivent. En effet, trois principaux pays ont une autre opinion sur l’euthanasie et du suicide assisté que celle du Canada. Ces pays, les Pays-Bas, la Belgique ainsi que la Suisse sont majoritairement en faveur de ces pratiques, sous certaines conditions.
Dans les Pays-Bas, toutes personnes ayant pour but d’aider une autre personne à s’enlever la vie peuvent être reconnues coupables d’un acte criminel, excepté les médecins qui agissent en respectant la loi, ce qui veut dire qu’il n’y a que les professionnels du domaine de la santé qui peuvent pratiquer l’euthanasie ou le suicide assisté.
En Belgique, plusieurs débats ont été menés sur l’adoption d’une loi visant à considérer le suicide assisté comme un acte illégal, mais en somme, un grand nombre de sondages auprès de la population ont montré que celle-ci fait preuve d’une ouverture face à l’euthanasie donc, la pratique de l’euthanasie est légale dans ce pays. Le but de cette législation est de « permettre le respect de la volonté des malades, mais aussi la possibilité d’une pratique correcte et contrôlée de l’euthanasie afin de mettre un terme aux pratiques clandestines[10]. »
La Suisse quant à elle, considère le suicide assisté comme étant illégal. Ce pays a marqué les débats autour de ce sujet, car il a longtemps toléré cet acte (pendant plus de 60 ans[11]), pour finalement l’interdire complètement en juillet 2008 lors d’une mise à jour des règles concernant l’aide au suicide. Au départ, le gouvernement voulait accentuer l’encadrement et la supervision du suicide assisté, mais il en a finalement conclu que ce n’était pas nécessaire et que, pour éviter tout abus, il fallait complètement interdire l'euthanasie.
Finalement, pour ce qui est des États-Unis, certains états tels que l’Oregon ont légalisé le suicide assisté sous certaines conditions, mais ont cependant interdit l’euthanasie. Par exemple, l’individu doit être majeur, apte et en phase terminale d’une maladie irréversible. De fait, cette loi a été acceptée le 27 octobre 1997[12].
Bien que ces résultats nous renseignent beaucoup sur l’opinion des Québécois au sujet de l’euthanasie et du suicide assisté, ils nous informent peu sur la répartition des réponses de ces gens selon des caractéristiques telles que, par exemple, leur qualité de vie. Les seuls renseignements à notre disposition sont l’âge, le sexe, la région et la langue des répondants. Puis, les raisons pour lesquelles le suicide assisté pourrait être acceptable est aussi un élément qui a été traité lors de précédentes recherches. Par contre, on peut quand même constater dans les résultats des questions que plusieurs sphères reliées à la qualité de vie ne sont malheureusement pas exploitées.
De fait, l’expression «qualité de vie» est relativement récente dans notre vocabulaire. Elle a fait une première apparition officielle en 1964 aux États-Unis[13]. Ce nouveau concept a rapidement été repris par les milieux scientifiques, et utilisé à maintes reprises depuis dans de nombreuses études. Les chercheurs de partout dans le monde, à ce moment, associaient toujours ce concept exclusivement à la santé physique et mentale des gens.
Encore aujourd’hui, la plupart des études effectuées sur la qualité de vie des gens se résument à leur état de santé. Récemment, la conférence board of Canada a évalué la qualité de vie des gens dans plusieurs pays en tenant uniquement compte de leur santé, à savoir s’ils étaient malades ou non. Les résultats classaient le Japon comme le pays ayant la meilleure ‘’qualité de vie’’, et le Canada figurait en 10e position[14].
Cependant, la qualité de vie n’est pas exclusive à la santé d’un individu. Le concept de qualité de vie est extrêmement large, et ne doit pas être associé uniquement à la santé et aux maladies des gens[15].
Justement, l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) ont été les premiers à mesurer véritablement la qualité de vie des gens au sens large, dans 34 pays du monde, avec leur évaluation intitulée the better life index. Pour mesurer la qualité de vie des individus, l’OCDE s’est basée sur 11 critères généraux soit l’emploi, le revenu, le logement, les liens sociaux, l’éducation, l’environnement, l’engagement civique, la santé, la satisfaction (bonheur au quotidien), la sécurité et l’équilibre entre le travail et les loisirs[16]. Les résultats ont été dévoilés au grand public en 2011.
À la lumière de ces recherches, l’Australie figure au premier rang des pays ayant la meilleure qualité de vie. Si l’on compare avec l’étude menée par le conference board of Canada, les résultats ne sont pas du tout les mêmes, puisque le Canada a grimpé au 5e rang et à l’inverse, le Japon (qui était 1er) a glissé au 20e rang[17]. Cette étude confirme le fait qu’en tenant compte de plus de critères, les résultats sont totalement différents. Cette méthode peut être considérée comme plus représentative de la situation mondiale, car en général, les gens sont sensibles à plusieurs autres facteurs que leur état de santé quand il est question de qualité de vie.
Les principales lacunes des études menées sur le sujet sont, évidemment, que la majorité des recherches ne tiennent pas compte d’assez de critères (en excluant celle de l’OCDE), qu’il est impossible de classer la qualité de vie avec des chiffres et qu’aucune étude n’a déterminé comment mesurer la qualité de vie d’un seul individu (les résultats des recherches ne donnent qu’un résultat par pays et non par individu).
Les chercheurs peuvent cependant faire certains constats à partir des recherches. En effet, les pays ayant une qualité de vie supérieure à la moyenne (Pays-Bas, Belgique, Suisse, par exemple) semblent plus concernés par le débat du suicide assisté. À noter que bien souvent, ce débat n’existe même pas dans les pays du tiers monde.
[1] . Marlisa TIESDEMANN, Dominique VALIQUET. L’euthanasie et l’aide au suicide au Canada, [en ligne]. https://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/919-f.htm [page consultée le 18 octobre 2012].
[2]. LA COMMISSION SPÉCIALE SUR LE DROIT DE MOURIR DANS LA DIGNITÉ. Mourir dans la dignité, Québec, Assemblée nationale du Québec, mars 2012, p.18.
[3] . Ibid. p.19.
[4] . FÉDÉRATION DES MÉDECINS OMNIPRATICIENS DE QUÉBEC, «La FMOQ dévoile les résultats de sa consultation sur l’euthanasie». Site de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. [En ligne]. https://www.fmoq.org/fr/press/news/news/2009/Lists/Billets/Post.aspx?ID=21 [page consultée le 24 septembre 2012]
[5] Idem.
[6]. LA COMMISSION SPÉCIALE SUR LE DROIT DE MOURIR DANS LA DIGNITÉ, op. cit., p. 124.
[7] Ibid .p.127.
[8] Ibid. p .124.
[9] Idem.
[10]. LA COMMISSION SPÉCIALE SUR LE DROIT DE MOURIR DANS LA DIGNITÉ, op. cit., p.21.
[11] Ibid. p.167.
[12] . Ibid. p. 170.
[13] Céline MERCIER, Jocelyne FILLION, «La qualité de vie : perspectives théoriques et empiriques», Santé mentale au Québec, No XII (Janvier 1987), p.135-143
[14] CONFERENCE BOARD OF CANADA, Site du Conference board of Canada [en ligne] https://www.conferenceboard.ca/hcp/overview/health_fr.aspx [Page consultée le 22 septembre 2012]
[15] ASPC, «Instruments de mesure de la qualité de vie : Conception et raison d'être» Site de l’agence de la santé publique du Canada, [en ligne] https://www.phac-aspc.gc.ca/mh-sm/pubs/quality_of_life-qualite_de_vie/instruments_mesure-fra.php
[16] OCDE. Site de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques. [en ligne] https://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/#/55555555555 [Page consultée le 22 septembre 2012]
[17] Idem.